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04/10/2007

Seul dans Berlin

Une lectrice m’a envoyé ce commentaire de lecture sur “Seul dans Berlin” de Hans Fallada pour partager sur ce blog. C’est un livre que j’aime particulièrement. Il me fait aussi penser à un client que je n’ai pas vu depuis des années et qui me l’avait commandé dans sa collection originale “Et d’ailleurs”, chez Denoël, me faisant à la fois découvrir cette superbe collection et ce titre. Il est maintenant disponible en Folio et j’essaie de toujours en avoir un exemplaire disponible.




Seul dans Berlin, de Hans Fallada, écrit en 1947 année de la mort de l´écrivain.

Lu en juillet, ce livre continue à tournoyer dans ma mémoire. Les thèmes, les personnages affluent pour me questionner.

La SECONDE GUERRE MONDIALE m´est bien connue à travers les témoignages lus ou d´êtres chers, les romans, les films... mais ce livre, situé à Berlin, durant l´Allemagne nazie, permet de pénétrer, avec une rare acuité, la vie de familles modestes, le fonctionnement des appareils de répression de 1940 à 1942 .

Dès le début du livre deux histoires viennent se superposer, celle en 1940 d´une Allemagne triomphante au prix d´une décomposition totale de la morale et celle de la prise de conscience de quelques individus de l´iniquité de ce régime.

Cet éveil ne peut les conduire que vers une mort annoncée.

Primo Levi disait que ce livre était "l´un des plus beaux sur la résistance allemande antinazie" et pourtant aucune résistance organisée, une lutte dérisoire ( laisser des cartes postales contre Hitler dans des immeubles aux nombreuses allées et venues) contre un appareil qui ne peut broyer que celui qui va s’y affronter...

Lorsque je l´ai lu, j´ai été bousculée par le double mouvement de l´histoire. Deux vagues déferlaient en moi totalement contradictoires, l´une noire d´encre me montrant l´homme dans ce qu´il a de plus pathétique, de plus sordide, l´autre lumineuse, au début hésitante puis s´imposant, me laissant éblouie par le courage de quelques humbles, les JUSTES.

Au 55 rue Jablonsky vivent différentes familles. A travers elles Hans Fallada, avec précision, lucidité, simplicité va nous faire découvrir les conséquences sur les êtres humains de plusieurs années d´un régime de terreur. Tous les comportements vont être analysés sans aucune concession, ceux nés de la peur, de la lâcheté, de la veulerie, de l´adhésion au régime, du refus....

Toute cette galerie humaine hallucinante me remue profondément. Nous sommes face à une période où l´horreur paraît atteindre parfois l´absurdité. L´histoire va s´articuler autour de la perte de deux fils. L´une réelle, le fils d´Otto et Anna Quangel et l´autre symbolique, le fils d´Eva Kluge, factrice, devenu un jeune nazi fanatique.
La mort du fils unique des Quangel, jeune qui n´aimait pas la guerre, annoncée le jour de la fête à Berlin va déclencher une prise de conscience vertigineuse chez ce couple bien quelconque. Otto est ébéniste et contremaître, sa femme simple femme au foyer.
Tous les deux cherchent plutôt à passer inaperçus.

Otto Quangel et sa femme vont tout au cours du récit changer, sublimer ce qui leur arrive. Otto prend la décision de réagir en écrivant des cartes contre Hitler, sa femme va
l´accompagner, le soutenir .
Ce secret partagé est aussi une nouvelle manière d´être, la pensée va les rendre libres, dignes. Cette liberté certes individuelle prend corps par l´action même si celle-ci peut apparaître vaine.

Otto atteint un niveau de calme, de décision, de forteresse qui lui permettront de faire face avec grandeur d´abord à la Gestapo en renvoyant au commissaire Escherich sa triste image de fonctionnaire zélé qui s´est mis au service du nouveau régime puis ensuite au tribunal et à la mort.
Anna affrontera aussi la parodie de procès avec une ironie étonnante.
Eva Kluge représente l´espoir du livre, rejetant ce qu´est devenu son fils par la faute de cet Etat, elle rend sa carte au parti, part à la campagne et trouvera une forme de résurrection par l´adoption d´un adolescent de la rue Jablonsky et le travail de la terre.

Hans Fallada, en écrivant son livre, a voulu rendre hommage à Sophie Scholl et son frère Hans membres d´un petit groupe pacifiste d´étudiants de Münich qui, lors de leur sixième tract, seront arrêtés en 1943, jugés rapidement et guillotinés sans perdre un moment leur séreinité, ni exprimer un seul regret.
En choisissant le métier d´Otto, il pensait aussi à Johann Georg Elser menuisier qui, seul, plaça une bombe contre Hitler en 1939 et fut fusillé à Dachau en 1945.

Ce livre pose des questions essentielles sur la liberté de penser, la justice, l´action, le refus de suivre un modèle imposé même par la terreur, l´importance pour chacun de savoir se situer et nous renvoie à nos propres compromis, nos peurs...

Antigone

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